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par Marc-André Pelletier

 

CAPSULE 1

Si vous trouvez l’hiver 2019 long, dites-vous bien que les paroissiens du Cap-de-la-Madeleine partageaient votre avis en 1878.

Pour des raisons différentes, toutefois.

Si 2019 offre un hiver particulièrement neigeux et froid, l’hiver 1878 présentait un tout autre scénario. À la même période de l’année, c’est-à-dire au mois de mars 1879, le fleuve Saint-Laurent n’avait toujours pas gelé dans son entièreté. On retrouvait certes quelques calottes de glace ici et là sur le cours d’eau, mais rien qui aurait pu prédire la suite de l’histoire.

Cet hiver-là, devant une communauté sans cesse grandissante, mais qui n’avait pas beaucoup de moyens, on avait décidé de démolir l’église paroissiale, devenue trop petite, pour en construire une nouvelle, qui devrait compenser pour l’augmentation constante de la population, qui s’élevait alors à 1 200 âmes. L’église ne pouvait entasser que 900 personnes.

On décida donc qu’il faudrait démolir l’ancienne église, récupérer les pierres issues de cette démolition, et qu’on irait cherchait le reste des pierres de l’autre côté du fleuve, à Sainte-Angèle, où on avait fait préparer des pierres qui devaient suffire à achever la construction de la nouvelle église.

Sauf qu’au 10 mars, comme si l’hiver n’était pas déjà assez doux, il y eût un redoux, ce qui anéantissait presque à toutes fins pratiques l’espoir de bâtir la nouvelle église la même année, pendant l’été à venir. La mésaventure occasionnait alors d’importants retards et dont les impacts pouvaient s’avérer considérables. L’eau gelait à ce moment jusqu’à la hauteur de Batiscan, mais pratiquement rien dépassé ce point.

On évalua alors la possibilité de transporter les pierres par bateau, d’une rive à l’autre, avant d’en venir à la conclusion que la manœuvre serait trop coûteuse.

Le curé de l’époque, Luc Désilets, décida donc d’implorer la gloire de la Vierge. Il promit de bâtir un sanctuaire en son honneur si celle-ci l’aidait à terminer les travaux pour la nouvelle église.

Sa prière a-t-elle été exaucée?

Luc Désilets (gauche) et Louis-Eugène Duguay

 

CAPSULE 2

Après avoir imploré la Sainte-Vierge de l’aider à terminer les travaux pour l’érection de la nouvelle église, le curé Luc Désilets persistait dans l’attente, sans connaître la véritable suite des choses. Il invitait tous les paroissiens à prier, mais le temps pressait plus que jamais, car même s’il profitait d’une faveur pour la suite des travaux, il savait très bien que le délai serait court, le printemps cognerait aux portes dans très peu de temps.

Le 16 mars, en pleine tempête, Dame Nature se déchaîna, envoyant une tempête d’une telle force qu’on peinait à voir au travers de la poudrerie. Le curé Désilets ne se fit pas prier : il convoqua les travailleurs, à qui il ordonna de profiter des forts vents pour arroser les amoncellements de neige qui prévalaient à ce moment sur le fleuve, dans l’espoir d’épaissir les blocs de glace qui pourraient se former si la température chutait pendant la nuit.

Et tout ça, directement de son lit, lui qui traînait malheureusement une historique de maladie. Allongé, sensé être au repos, il dirigeait plutôt les opérations en faisant de son mieux et surtout, en récitant le chapelet avec une insistance toute particulière, vu les circonstances.

Une telle offensive sur le fleuve comportait évidemment son lot de risques, tellement qu’à un certain moment, le curé Désilets demanda à son vicaire Louis-Eugène Duguay d’interrompre les travaux, de plier bagages et de renvoyer les hommes à la maison. Mais le vicaire s’opposa.

-«Allez, renvoyez tout ce monde-là! Dans cette obscure noirceur, ils vont tous périr», avait alors lancé un curé Désilets inquiet.

Mais la réplique de son acolyte n’avait pas tardé.

-«M. le curé, vous m’avez demandé d’aller chercher ces hommes, ils sont maintenant à l’ouvrage et au péril. Je ne les renvoie point, je vais les rejoindre. Priez que la Sainte-Vierge nous porte et le pont va se faire», avait-il rétorqué.

Le curé Désilets avait répondu par un simple «allez!», constatant hors de tout doute la détermination de son collègue envers ce projet ambitieux, ce dernier ayant choisi de mettre lui aussi l’épaule à la roue, sachant que son supérieur en était incapable, alité.

Le travail commence…

 

CAPSULE 3

Alors que l’enjeu est grand et qu’un embâcle s’est formé sur le fleuve, donnant espoir aux travailleurs et à la paroisse en entier, un enjeu demeure : la sécurité.

Car bien que cet empilement de glaces génère de l’enthousiasme parmi les troupes, on est encore loin de la coupe aux lèvres. Si les travailleurs veulent être en mesure de traverser l’étendue d’eau avec les chevaux et les charrettes pour aller quérir la pierre qui se trouve sur l’autre rive, à Sainte-Angèle, il faudra trouver un moyen de durcir cette glace pour la rendre praticable.

Ne faisant ni une ni deux, comme le compte à rebours ne cessait de tourner à grande vitesse, le curé Désilets écrivit une lettre au monseigneur des Trois-Rivières. Dans cette missive, il lui fit une demande pour le moins insolite – voire audacieuse – pour l’époque : de permettre à ses hommes de ne pas assister aux messes, afin de sauver du temps pour se consacrer sur le travail à effectuer.

Expliquant le contexte à son supérieur, le curé Désilets va droit au but dans sa demande.

«[…] Votre grandeur voudra bien nous permettre de travailler et de charrier dimanche et le jour de fête, toute la journée, si la glace est bonne, et de payer les charroyeurs étrangers pour opérer la transportation au plus tôt, puis de laisser aux maisons sans mépris les femmes et enfants incapables d’aller à l’église à pied, soit ici, soit ailleurs dans les paroisses étrangères, celles ou ceux dont les maris ou les parents sont occupés à charrier la pierre?»

La demande lui fût accordée, vu le caractère exceptionnel de la situation.

Les hommes de Firmin Cadotte et Flavien Bourassa se mirent donc au travail, effectuant l’aller-retour avec un chargement équivalent à une tonne, parfois jusqu’à une tonne et demie, lorsque rempli des pierres de Saint-Angèle. De tels charretées mettaient durement à l’épreuve le chemin de glace formé par les travailleurs.

Déjà que le redoux créait une situation particulière, certains croyaient qu’on jouait tout simplement avec le destin de ces hommes en effectuant autant de voyages.

Alors que l’on savait que le printemps finirait par arriver définitivement, on termina le derniers voyage de pierre dans la journée du 25 mars, six jours après avoir commencé à travailler jour et nuit.

Les hommes et leurs chevaux étaient épuisés.

Croyez-le ou non, les témoins sont nombreux pour en attester, lorsque le dernier voyage eux traversé le fleuve, l’embâcle se défit, les glaces se détachèrent, emportées par le courant.

Voilà pourquoi on appelle l’événement «le miracle du pont de glace» et pourquoi également, on a fait bâtir le pont des chapelets en 1924 en l’honneur des gens qui ont mis leur vie en danger pour construire la nouvelle église.

Aujourd’hui, le pont des chapelets est toujours l’un des attraits les plus populaires du Sanctuaire.