Voici, un article de la chronique « À contre-temps » de la Revue Notre-Dame-du-Cap publié dans le numéro d’avril 2022 écrit par Vincent Painchaud.

De nouveaux rituels

Une certaine ironie se trouve dans notre calendrier: les quarante jours du carême, cette période marquée chez les catholiques par l’aumône, la prière et le jeûne, correspondent également au temps des sucres. Si les curés d’antan conciliaient difficilement le goût amer de la pénitence avec celui du sirop d’érable et du lard salé, cette remarque semble aujourd’hui relever de l’anecdote. Néanmoins, cette tension persiste dans notre société qui doit arbitrer entre l’incitation constante à la consommation et la préservation de ses valeurs, qu’elles soient religieuses ou non.

S’IMPOSER DES CONTRAINTES

La consommation est le moteur de notre économie et prétend être la mesure de notre succès. Jamais le superflu n’a été aussi accessible, au point où nous peinons à y distinguer le nécessaire. Alors qu’elle a perdu ses repères dans l’opulence, ma génération ressent le besoin de s’imposer de nouvelles contraintes. Faisant suite aux abus culinaires et financiers du temps des Fêtes, les résolutions du Nouvel An se rapprochent d’une logique de «conversion». Au mois de février, le «Défi 28 jours sans alcool » prolonge cet effort. Le reste de l’année, alors qu’un commandement de l’Église nous enjoignait de manger maigre (sans viande) les vendredis, voici que plusieurs s’efforcent de manger végétarien au moins un soir par semaine, en invoquant des raisons environnementales ou de santé.

L’histoire du christianisme est ponctuée de récits de «mortifications » qui nous laissent sous le choc, alors qu’on y glorifie des saints qui s’infligeaient volontairement diverses formes d’inconfort pour éprouver leur piété. Or, avec un peu d’imagination, ne retrouvons-­nous pas de pareilles pratiques autour de nous ? Nos longues et douloureuses séances d’épilation ou de tatouage, entre autres « soins » corporels, ne vont pas sans rappeler les pénitences qui avaient cours dans les monastères. Suivant l’évolution des modes, certains vêtements ou accessoires particulièrement incommodants semblent être une adaptation du cilice, cette ceinture cloutée portée par les ascètes

MAÎTRISE DU QUOTIDIEN

Même s’ils peuvent nous sembler loufoques, les parallèles à établir entre les prescriptions religieuses et ces nouvelles pratiques sont trop nombreux pour relever du hasard. Ces dernières cherchent à nous redonner une certaine maîtrise de notre quotidien. Par elles, nous retrouvons une intentionnalité dans nos comportements qui tendent à devenir, dans le confort de la routine, trop automatiques. En se répétant au fil des semaines ou des saisons, elles deviennent des rituels non religieux par lesquels on tente de structurer le temps et de lui donner un sens. Ces contraintes que l’on s’impose aujourd’hui, de manière plus ou moins consciente ou rationnelle, permettent enfin la com­-passion, littéralement la possibilité de souffrir­ avec : assumées en groupe, elles nous relient à une communauté définie par des valeurs et des idéaux qui la dépassent… à quelque chose comme une Église.