État d’Alerte

Au temps des médias sociaux, dans une société d’image où la visibilité est reine, un micro virus malicieux et invisible à l’œil nu, dicte désormais les lois du vivre ensemble. Plus de 169 nations à travers la planète sont touchées par la Covid-19.

Le monde est bousculé et basculé dans l’enfermement généralisé. Le Canada interdit ses vols vers le Sud, sa frontière terrestre avec les États-Unis fermée depuis bientôt un an. Phénomène sans précédent. L’humanité est en état de choc. L’Occident tombe de son piédestal. Le monde de la technologie avancée et de la science est pris au dépourvu et enregistre des ratés de taille, car la réponse tarde encore à venir. Les variantes de la Covid-19 se font encore plus menaçantes et se propagent à une vitesse vertigineuse. L’intelligence humaine est mise au défi d’un vaccin sûr apte à inspirer un maximum de confiance. Mais, elle reconnait ses limites. L’humilité est donc de mise.

Face à la pandémie, même les plus optimistes parmi nos penseurs sont soudainement envahis de sentiments de doute, de crainte et même de peur. Ils ne perçoivent plus la vie comme avant. Leur philosophie et leur vision du monde sont à jamais ébranlées. Tout nous porte à croire que ce réveil brusque et tardif de l’humanité de sa torpeur va inciter les gens à adopter un nouvel ordre de priorités dans leur vie. Peut-être que désormais l’essentiel va être distingué du superflu, l’important du banal, le nécessaire de l’accessoire.

Edgar Morin parle de l’opportunité d’une crise existentielle salutaire. Jean Claude Monod pour sa part évoque les concepts de «nemesis naturelle, d’équilibre vengeur de la nature» face à la frénésie industrielle, à la production effrénée du capitalisme à outrance qui a miné la cohabitation tout au long de ce siècle. Une façon propre à notre univers d’exprimer son ras le bol devant la cupidité humaine.

Ce moment inédit et grave secoue les bases mêmes de la convivialité humaine. Il ébranle nos certitudes et nous interpelle à plus d’humanité dans nos rapports. C’est un plaidoyer à être moins indifférent aux douleurs d’autrui, à une solidarité dynamisante et à être plus attentif et compatissant envers les autres.

Nous partageons tous la même identité humaine, égaux en dignité et tous vulnérables devant la maladie ou la mort. Ce temps de répit offert à notre monde essoufflé par la course effrénée vers les vanités et les démesures nous permet de reconnaître la communauté de destin qui unit toute l’humanité. Peuples divers, destinée commune.

Avec la Covid-19, on observe le passage obligé d’une culture de la mobilité, du déplacement à celle de l’immobilité et du confinement. Il y a peu de temps, la vie était dehors au travail, au bureau, au restaurant, au night-club, au 5 à 7 (Get together), à la visite de courtoisie. Aujourd’hui, la vie est dans la sédentarité, l’intériorité et à l’intimité de nos foyers. Car ironie du sort, ce sont nos proches qui nous contaminent. Sommes-nous en face d’une évolution ou plutôt d’une hiérarchisation des valeurs?

Pour certains, ce rejet de la frivolité pour se concentrer de préférence sur le primordial, est un saut qualitatif vers ce qui compte vraiment, ce qui donne un vrai sens à la vie comme la famille, le nous-inclusif, la fraternité, la solidarité. Solidaire dans le confinement, responsable dans la distanciation, uni dans l’isolement. L’association de ce qui semble contradictoire est désormais logique et vitale. Une règle de vie. C’est dans l’enfermement qu’on se protège mutuellement. Le respect de l’altérité et la sensibilité à la collectivité se révèlent dans l’isolement.

Cette crise pandémique fait perdre à l’humain sa prétention d’être le maître de l’univers. Sa quasi divinisation apparaît comme l’une des plus grandes impostures du monde moderne. André Compte Sponville disait dans un interview que «si l’homme est notre dieu, c’est le plus piètre que l’humanité ait inventé! Qu’est-ce-que ce dieu tellement plus capable du pire que du meilleur?…L’homme n’est pas notre dieu, c’est notre prochain.» Montaigne renchérit en disant «Je reconnais en tout homme mon compatriote».

Notre arrogance et nos richesses nous ont souvent fait oublier notre interdépendance. À écouter le téléjournal, on se rend compte que la cohésion sociale est toujours incertaine voire même risquée par la puissance de l’argent. On déplora que «les nations les plus puissantes rachètent des cargaisons de masques et d’équipements de protection contre le Covid-19 destinés à d’autres pays en payant comptant parfois plus de trois fois le prix.»

On est dans l’impasse et on a besoin d’un changement en profondeur. Karl Jaspers disait un jour «Si l’humanité veut continuer à vivre, elle doit changer». C’est l’heure du bilan, le moment de tirer des leçons pour libérer le présent. Le temps de puiser dans nos banques de résilience. Rien n’est insoluble si chacun et chacune y mettent du sien (les politiciens, les scientifiques, les décideurs économiques, etc.) C‘est en faisant la route ensemble, en travaillant main dans la main que nous saurons surmonter cette crise inédite et historique.

Pour contrer le caractère angoissant, déprimant et démobilisant de notre réel, il faut maintenir l’espérance au cœur du monde entier. Placer le sujet espérant (L’humain et non plus l’argent/l’économie) au cœur de nos prises de décisions, grandir dans l’espérance et tenir sa flamme allumée. Le temps de carême qui s’en vient ce mercredi 17 février peut se révéler favorable pour une réflexion en profondeur pour une plus-value en humanité, pour une revalorisation de nos liens interpersonnels et pour une meilleure convivialité.

Wedner Bérard, Dr en Éthique

Direction du Sanctuaire NDC