Voici, un reportage de la Revue Notre-Dame-du-Cap publié dans le numéro de juillet-août 2022 écrit par Pascal Huot, ethnologue et photojournaliste.

La salle L’Héritage

Transformer sans désacraliser

Au début du 21e siècle, l’église Saint‐Jean‐Chrysostome à Lévis fait face, comme bien d’autres, au problème de la diminution de la pratique religieuse. Durant les années 2010, le constat est clair: si les paroissiens désirent conserver leur lieu de culte, il faut agir.

Une grande réflexion se met en branle, organisée par un groupe dynamique auquel participe Paul Foisy, paroissien de Saint­-Jean-Chrysostome depuis 1976. Il nous explique le chemin vers la transformation et la survivance du lieu paroissial.

Un comité est alors formé pour trouver une solution viable à long terme. Au cœur de sa réflexion demeure une préoccupation centrale: comment atteindre l’ensemble de la population? «C’est sûr que la diminution de la fréquentation de l’église pose problème partout. Ici, comme ailleurs. Alors, on s’est interrogé sur comment on pourrait faire en sorte, pas tant de financer l’église, mais qu’elle serve à l’ensemble de la population plutôt qu’à 100 ou 200 personnes par semaine. » Les réflexions progressent, avec en tête toujours ce même désir de développer une dimension communautaire ainsi que de permettre une programmation plus diversifiée: le culte en priorité, mais aussi d’autres activités civiles. L’idée de faire une salle multifonctionnelle pouvant être louée par la communauté civile est donc retenue.

BEAU DÉFI POUR UN ARCHITECTE

Le tout débute par l’embauche d’un architecte auquel le comité expose son projet. «On lui a dit: “On veut une salle multifonctionnelle, comment tu verrais ça?” C’est un beau défi pour un architecte! » Le comité étudie les plans, discute avec les marguillers et ils arrivent à un consensus. En 2014, les travaux s’effectuent en deux gros chantiers qui incluent les transformations et la peinture de l’église.

Dans un premier temps, les bancs doivent être retirés pour mettre des chaises amovibles. On fait appel à tout le monde dans la communauté. Paul Foisy souligne: «Moi dans ma rue, il y avait des gens qui ne venaient pas à l’église, mais ce sont de bons amis, des personnes que je connaissais; tout le monde est venu donner un coup de main. » La paroisse met en vente les bancs, qui trouvent rapidement preneurs. Un succès qui surprend les organisateurs !  Nathalie Turbide, sacristine qui s’occupe aujourd’hui de la location de la salle, se rappelle qu’une liste d’attente avait été mise en place, au cas où il en resterait… Et un menuisier s’est porté acquéreur des grands bancs restants.

Puis, le plancher de bois est retiré et refait à neuf. Un mur en vitre à l’arrière est installé, permettant de conserver la chaleur de l’église lorsque l’on ouvre les portes, mais aussi d’avoir un espace d’accueil à l’entrée. Dans un souci d’harmoniser le tout, l’on intègre des gerbes de lys issues de la décoration de l’église au mur de vitre. Les confessionnaux sont retirés de l’église et leurs façades sont déplacées à l’entrée. Un petit salon derrière le vestiaire permet aux prêtres de rencontrer les paroissiens en toute intimité.

On procède à l’acquisition de 20 tables, «des tables rondes qu’on a achetées à Sainte­-Anne-de­-la-­Pérade sur Kijiji ». Une personne de la communauté les restaure. Un petit entrepôt est aménagé pour ranger les chaises supplémentaires et les tables lorsqu’elles ne sont pas utilisées ou durant les messes.

Pour accommoder les personnes qui louent la salle, plusieurs aménagements sont nécessaires : une cuisinette, un vestiaire fermé, des toilettes… La paroisse a également investi dans un système de son (sous le banc de bedeau), ainsi que dans un écran et un projecteur.

Afin de conserver le lieu de culte, il faut préserver l’espace sacré du chœur. «Si tu as une salle comme ça qui est ouverte sur le chœur et des enfants qui courent partout, toute la dimension du sacré d’une église est perdue. » Pour rendre le chœur invisible et inaccessible, une immense toile sur mesure est créée, pour qu’elle s’intègre parfaitement à l’architecture et à la décoration de l’église. L’installation de la toile permet de créer la salle L’Héritage!

UN PROJET POUR L’AVENIR

À l’époque de la transformation, contrairement à ce que l’on pourrait croire, le projet faisait l’unanimité. « Il y a des gens qui nous ont dit: “Mais vous avez fait quelque chose de tellement beau!” », se rappelle Paul Foisy. Il y a bien eu quelques rares exceptions, précise-­t­-il, notamment pour une famille, dont le grand­-père avait fabriqué les bancs : «Pour lui, c’était crève­cœur, je peux le comprendre. » Mais l’église doit «aller de l’avant », renchérit Nathalie Turbide.

Bien avant la rentabilité, la réfection de l’église Saint-Jean-­Chrysostome avait une visée communautaire, tout en préservant en priorité le lieu de culte. Paul Foisy précise que «plus la communauté va l’utiliser, plus on va être
proche les uns des autres ». Divers groupes se servent dorénavant de l’église pour leurs réceptions. Mentionnons la Ville de Lévis, les pompiers, les policiers, l’association provinciale des radios émetteurs, les commissions scolaires, les écoles, et quelques fêtes privées comme les cinquantièmes anniversaires de mariage. Nathalie Turbide précise que pour des mariages et des noces, «on est sélectif », ajoutant qu’ils ne louent pas pour des partys de bureau et de Noël.

Une équipe proactive a permis ici un exemple réussi de transformation sans perte du lieu de culte. Certainement que cela aura tôt fait d’inspirer plusieurs autres paroisses.