Une réflexion sur le Pardon, thème de L’Évangile de ce dimanche 18 sept.

Le Pardon à l’épreuve de l’impossible

Le Pardon, est parmi l’un des concepts les plus utilisés dans le langage courant journalier. Il est l’une des vérités constitutives de la sagesse humaine. Un concept inspirant, dynamisant, rempli d’espérance qui résonne dans le monde entier et qui rejoint toutes les races et toutes les cultures. Le pardon, pour nous les humains, est toujours un partage de notre fragilité. Toutes les relations ont besoin de pardon, toutefois, il ne cesse de susciter des réactions controversées, des polémiques et mêmes des querelles.

Valeur d’inspiration religieuse et point d’ancrage de l’enseignement du Christ basé sur la fraternité, il est pourtant incompris par beaucoup de chrétiens. Pour certains d’entre eux, le pardon ne va pas de soi et c’est un défi quasi-impossible, à moins de posséder des qualités hors du commun.

Un concept ouvert

En dehors de la sphère religieuse, il a subi des préjugés de crédibilité comme si on devait le confiner seulement dans son champ. Certains l’appréhendent comme une affaire d’ordre personnel, privé, lié au domaine du sacré. Pour Paul Valadier, C’est un acte de fécondité et rigoureusement de re-création capable de changer la haine en proposition d’entrer dans une histoire renouvelée. (Paul Valadier, Agir en politique, Cerf, Paris, 1980). Le pardon est un pur don qui doit venir du cœur. Il relève de l’exercice de la victime qui est libre de le donner ou de le refuser. Personne d’autre ne peut s’arroger le droit de le faire à sa place. En ce sens l’État ou aucune institution ne peuvent se l’approprier pour le soumette à une logique d’efficacité visible ou extérieure.

Voilà pourquoi, jusqu’à hier encore, certains ont refusé toute appartenance du concept à l’ordre politico juridique. De fait, il fut longtemps discrédité dans le discours socio politique et fût porteur d’une résonance négative d’absurdité. Politiquement parlant il prend la forme de l’utopie et de l’exaltation romantique. Une pure chimère, donc inadapté au discours politique. Pour cause, ceux et celles qui osent en parler se sont vus souvent stigmatisés d’obscurantistes.

Et pourtant, c’est un concept ouvert et non exclusif, crédité d’une grande fécondité morale. Son efficacité peut être reconnue aussi tant dans le champ religieux que dans le domaine social et politique. Il n’est pas impropre à la réflexion politique. Comme dirait Paul Valadier, il ne faut pas craindre de puiser dans les traditions religieuses quand elles éclairent la condition humaine. (Paul Valadier, Le pardon en politique, in Ceras, Religions et violence 281 (2004) 1.

Le pardon n’est pas une prérogative offerte seulement à une classe de privilégiés, à un groupe d’élus ou encore pour une catégorie de forfaits déterminés. Il rejoint tous les citoyens responsables, chrétiens ou non qui refusent d’entrer dans la logique de la violence, de la vengeance et de la haine qui tuent. Il ouvre à de magnifiques perspectives pour une meilleure convivialité. Il peut aider à bâtir la paix, car l’esprit de réconciliation résonne dans chacune de ses lettres.

Donc, ce n’est pas surprenant de constater de nos jours sa permanence sur le devant de la scène dans des débats qui passent pour strictement séculiers. Il a acquis sa lettre de noblesse dans les grands débats sociopolitiques. Pardon et politique ne sont pas un couple contre nature. Qu’on prenne en références le pape Jean-Paul II qui a déploré le silence complice de l’Église Catholique dans le massacre des Juifs, ou encore Jacques Chirac et le pape François dans leur demande de pardon et dans l’expression de leur regret pour l’esclavage des noirs. Le gouvernement japonais a désapprouvé les atrocités infligées aux Coréens et aux Chinois.

À la fin du 20e siècle, les demandes de pardon pour les crimes passés n’ont cessé de se multiplier. C’est une clef de compréhension de la création et de la multiplication des Commissions Nationales de Justice, de Vérité ou de Réconciliation dans de nombreux pays comme L’Afrique du Sud, le Rwanda, le Chili, le Canada avec le gouvernement libéral de Mr Justin Trudeau, etc. De louables et nécessaires initiatives qui dénotent le besoin de dépassement des blessures du passé pour construire quelque chose de neuf et de positif, même si c’est souvent très laborieux et pour le moins incertain. Quand nous pardonnons, nous ne changeons pas le passé, mais plutôt le futur. à en croire Martin Luther King, le pardon est un catalyseur qui crée l’ambiance nécessaire à un nouveau départ et à un recommencement. On admet volontiers que le pardon est un processus parfois long qui demande du temps et qui se réalise selon des rythmes et suivant des étapes différentes.

Bref, disons avec Hannah Arendt « Le pardon est certainement l’une des plus grandes facultés humaines et peut-être la plus audacieuse des actions, dans la mesure où elle tente l’impossible-à savoir défaire ce qui a été- et réussit à inaugurer un nouveau commencement là où tout semblait avoir pris fin ». Le pardon n’accepte pas que le mal a le dernier mot. Avec le pardon, l’acte mauvais cesse d’être un obstacle aux relations. Derechef, nos relations humaines ont besoin de pardon et de justice.

Wedner Bérard, o.m.i.