Voici, un article de la chronique « Regards biblique » de la Revue Notre-Dame-du-Cap publié dans le numéro de juin 2022 écrit par Sébastien Doane, professeur d’études bibliques Université Laval.

Marie Madeleine n’est pas celle que vous croyez

«Marie Madeleine a un pied mariton…» Dans cette fameuse ritournelle, Marie Madeleine est «bien mal amanchée avec un nez d’plastique, un œil de vitre…» Cette chan‐ son n’a rien avoir avec la Marie de Magdala, sauf qu’elle montre la grande souplesse de ce personnage qui a parfois pris des traits de prostituée ou de super‐apôtre.

Les Pères de l’Église, plus ou moins attentifs aux femmes des évangiles, ont fait un amalgame entre Marie de Magdala, Marie de Béthanie et la femme anonyme qui a oint les pieds de Jésus avec ses cheveux. Cette dernière étant connue pour ses péchés, la tradition a propagé l’idée que l’amalgame était une prostituée. Le film Jésus de Nazareth de Zeffirelli a inscrit cette mauvaise interprétation dans nos esprits en incarnant dans un seul personnage (joué par Anne Bancroft) Marie de Magdala et les pécheresses anonymes.

D’ailleurs, dans l’art sacré, Marie Madeleine est très souvent représentée dénudée, avec les cheveux longs et dénoués, pour signifier son repentir et sa pénitence. On la représente aussi avec un vase pour montrer qu’elle serait venue avec de la myrrhe au tombeau, un détail qui a aussi contribué à son association avec la femme anonyme qui oint les pieds de Jésus avec un parfum.

MARIE DE MAGDALA SELON LES ÉVANGILES

Par son nom (Madeleine), Marie est associée au village de Magdala (Migdal en hébreu), sur la rive du lac de Galilée. Luc 8,2 affirme qu’elle était sous l’emprise de sept démons, sans doute un chiffre symbolique pour dire qu’elle était complètement sous leur domination. Ce passage indique que des femmes suivaient Jésus en Galilée. Marie est la première des trois femmes nommées dans ce groupe. En particulier, elles assistaient le groupe avec leurs ressources économiques (Luc 8,3).

Pour les quatre évangiles, Marie de Magdala est un témoin majeur de la mort et de la résurrection de Jésus. Elle est toujours présente – et souvent la première mentionnée – dans les courtes listes des femmes regardant la crucifixion et allant au tombeau vide le matin de Pâques. L’Évangile de Jean (20,11­18) raconte même que Marie est la première à rencontrer le Ressuscité. Cet épisode indique à quatre reprises qu’elle pleurait la mort de son Seigneur quand celui qu’elle croyait être le jardinier l’appela par son nom. C’est alors qu’elle le reconnaît. Dans les quatre évangiles, Marie de Magdala est investie de la mission d’annoncer la résurrection de Jésus aux autres disciples. Ainsi, on parle d’elle comme l’Apôtre des apôtres puisqu’elle est envoyée (apostolô) vers ceux qui deviendront les envoyés (apostoloi).

LA FEMME DE JÉSUS ?

Le film La dernière tentation du Christ et le roman Le code Da Vinci font partie des œuvres modernes qui repensent la nature de la relation entre Marie de Magdala et Jésus comme une relation amoureuse. Le roman de Dan Brown s’appuie notamment sur l’Évangile selon Philippe, un texte apocryphe du 4e siècle, pour ce lien.

Un baiser entre Marie et Jésus
La Sagesse qu’on appelle «la stérile» est la mère […]
anges et [..] compagne du S[……].[……..]rie Ma[..]leine, le
S[………….] plus que [….] les disci[……..] l’embrassait sur la
[………]vent. Le reste des [………] [ . . ] . . . . . [ . ] . [ . . ] . . ils
lui dirent: «Pourquoi l’aimes‐tu plus que nous tous ?» Le
Sauveur répondit et leur dit { } «Pourquoi ne vous aimé‐
je pas comme elle?»
(Traduction par Louis Painchaud)

Le piètre état du manuscrit fait que nous avons un texte troué, donc particulièrement difficile à interpréter. Écrit plus de 300 ans après les événements, ce texte a beaucoup moins de chance de transmettre une tradition historique que les évangiles écrits entre 40 et 70 ans après la mort de Jésus. Il faut aussi prendre en compte la signification du baiser dans la culture qui a produit ce texte. Dans les milieux gnostiques du 4e siècle, le baiser était le symbole de la transmission de la connaissance. Il s’agit donc d’un texte qui montre la posture privilégiée de Marie de Magdala qui reçoit un degré de connaissance plus important que les autres disciples. Ces disciples se demandent comment une femme peut être élevée à un tel rang. Pour l’Évangile de Philippe, le problème n’est pas qu’elle soit l’amoureuse de Jésus, mais qu’elle ait un rang plus élevé que les disciples masculins.

LA MADELEINE DES LÉGENDES

À la fin du Moyen Âge, on raconte que la Madeleine fut missionnaire en Provence et que son tombeau est à la basilique Sainte-­Marie-­Madeleine, à Saint­-Maximin-la-­Sainte-­Baume. Les légendes européennes ont exagéré la fortune et la beauté de Marie.

La tradition orthodoxe rapporte qu’elle est allée annoncer la mort et la résurrection de Jésus à l’empereur Tibère. Devant le scepticisme de celui­-ci, l’œuf qu’elle tenait en main se teinta alors en rouge sang, une légende qui a été utilisée pour expliquer la tradition des œufs de Pâques.

SANS FEMME, PAS D’ÉGLISE

Ce 22 juillet, à l’occasion de la fête de Marie de Magdala, je nous rappelle que les premières à comprendre et annoncer la résurrection de Jésus étaient des femmes. Sans femme, pas de Pâques, pas d’Évangile, pas d’Église! Aujourd’hui, si des femmes sont massivement investies en catéchèse, je ne peux que constater qu’il y a encore du chemin à faire pour valoriser la mission au féminin au sein de notre Église. Que Marie de Magdala nous inspire à retrouver le dynamisme des origines.