La chronique de La vie au Sanctuaire de la semaine du 15 au 21 avril 2022.

Vendredi saint

Nos Christs en croix

Il y a une génération d’écrivains pour qui la vie est une absurdité, l’amour une illusion, la liberté une farce. Rien n’a de sens, rien n’est beau. Leur pessimisme rejoint l’auteur biblique Qohéleth qui traversait une période dépressive : « Je déteste la vie, car je trouve mauvais ce qui se fait sous le soleil; tout est vanité et poursuite de vent » (Ecclésiaste 2, 17).  La plus grande erreur pour l’être humain, disent-ils, c’est de venir au monde. Selon eux, après s’être passé de Dieu, l’être humain peut maintenant se passer des autres…

Nancy Huston appelle ces écrivains des professeurs de désespoir : « Dans le monde désenchanté de la modernité, le nihilisme, remplaçant les utopismes, est notre moderne Église. Ses adeptes sont nos Christs en croix, nos saints torturés, nos martyrs stoïques. Au lieu d’aller à l’église écouter le curé nous expliquer le sens de nos souffrances, nous achetons des livres ou bien nous assistons à des spectacles qui nous assurent que nos souffrances sont inévitables, que tout est misère, méchanceté et oppression » À force d’écouter ces littératures défaitistes, nous risquons de devenir cyniques et de ne plus croire que le monde peut devenir plus humain, plus beau, plus juste, plus fraternel.

Avec Nancy Huston, nous cherchons à comprendre pourquoi « nous encensons les chantres du néant, prônons une sexualité aussi exhibitionniste que stérile et écoutons en boucle la litanie des turpitudes humaines. » Toutefois, il semble que ces professeurs de désespoir soient moins misanthropes dans la vie réelle que dans leurs livres! Le désenchantement du monde avec l’horrible trophée de ses deux guerres mondiales, ses génocides, ses holocaustes, ses camps de la mort et les horreurs que prolonge notre nouveau siècle, voilà autant de matière qui vient étayer leurs romans et cautionner leurs thèses. C’est probablement ce contexte tragique qui fait dire à Yves Burdelot : « L’humanité telle que nous la vivons est en transition entre l’animal et l’humanité véritable. » En réalité, notre existence sur terre n’est ni une vie en rose ni une vie en noir; elle est, pour une bonne part, ce que nous en faisons. Au bout du compte, notre vision du monde, de l’avenir et des autres ne dépend-elle pas toujours des lunettes que nous portons?

Paul Arsenault, o.m.i.