Voici, un article de la chronique « À CONTRE­-TEMPS » de la Revue Notre-Dame-du-Cap publié dans le numéro de janvier-février 2023 écrit par Vincent Painchaud

Sonner une cloche

En 2019, une pétition circulait dans Limoilou afin que les cloches d’une église du quartier cessent de sonner; selon la principale instigatrice, cette «nuisance auditive» constituerait une « tradition désuète» contrevenant aux principes de la laïcité dans l’espace public. Si cette nouvelle relève de l’anecdote, elle nous invite à nous interroger sur la fine ligne démarquant une foi partagée et un prosélytisme qui contreviendrait à la liberté de conscience d’autrui.

PRIVÉS DE FOI
Au cœur de cette réflexion se trouve la distinction que certains font entre le «public» et le «privé». Chaque individu serait ainsi entouré d’une petite bulle, le «privé», sorte de sous­-vêtement de
la pensée au­-delà de laquelle nos opinions deviendraient impudiques. La religion, ça se fait entre personnes consentantes, derrières des portes closes, en silence autant que possible… Dans l’espace public, la laïcité établirait une certaine bienséance aux accents civilisés, qui revient à dire que si on n’en parle pas, ça n’existe pas.

Pourtant, lorsque nous examinons ce qui se passe sur les réseaux sociaux, on se rend compte que ce qui est privé et ce qui est public se confondent sans anicroche et que certains font même un commerce de leur intimité. Des « influenceurs » exposent à leurs milliers d’abonnés des photos de ce qu’ils mangent, de ce qu’ils portent… ou omettent de porter. Afin de nous assurer que nous ne manquons rien, nous recevons des notifications sur notre téléphone intelligent, comme autant de petites cloches qui sonnent dans notre poche.

TROUVER UNE RÉSONANCE
Je suis intervenant en soins spirituels en CHSLD. Mon travail est traditionnellement associé à l’Église catholique et certains continuent de parler de « l’aumônier », bien que mon rôle soit officiellement déconfessionnalisé. Dans les faits, j’accompagne des gens de toutes croyances ou valeurs : non seulement des résidents, mais aussi des collègues et amis qui prennent le risque de venir me visiter à mon bureau. Ces derniers viennent me consulter concernant des difficultés qu’ils traversent, pour me questionner sur mes propres croyances, ou se contentent même de me confier quelle est leur spiritualité, étant assurés de mon ouverture. En dehors de ce cadre très intime, qui rappelle l’acoustique feutrée du confessionnal, ils ont souvent peur d’être jugés.

Au­-delà de nos chapelles et autres bâtiments de notre patrimoine religieux, peut-­être est-­ce cela, une Église: un «public », une communauté dans laquelle résonnent nos angoisses et nos espérances, les valeurs qui nous animent et les rites qui les incarnent. Là, aucune pétition ne nous empêchera de prononcer ces paroles d’Évangile qui, même si elles ne sont que murmurées, n’en sont pas moins capables de « sonner une cloche» au plus profond de nos consciences.